Orientations 2023-2024

 

 

Vous avez dit métamorphose ?

 

La première longue série de représentations de la saison nous arrive du Canada. C’est une adaptation du Faust de Goethe, qui vient hanter notre présent (Si vous voulez de la lumière). Elle est raccordée aux délires transhumanistes que des savants fous, de la Silicon Valley ou d’ailleurs, sont en train de concevoir pendant que le climat s’effondre. Aiguillés par des financeurs forcenés, prêts à tout pour prolonger un profitable saccage. Cela fait un moment qu’ils ont vendu leur âme pour une fuite en avant vers un « progrès » qui nous placera tous devant le fait accompli d’une métamorphose digne de réjouir Méphisto.

 

Pousser la transgression sur la pente naturelle de l’accumulation du capital, mérite toujours quelques mensonges. Cela tombe bien, les affabulations tiennent leur rang dans cette programmation, qu’il s’agisse de parasiter la distinction entre victimes et bourreaux (La Obra) ou d’affiner les manipulations langagières et judiciaires qui font tenir l’édifice (Contes d’État). Travail, ordre et progrès nous dit-on. Mais que l’ordre déraille et les modérés sont pris de gêne devant le spectacle de la brutalité qui sauvegarde l’écot de discrets commanditaires.

 

Une tout autre métamorphose - mais est-elle vraiment méta ? -, est celle qui surgit pour provoquer le changement brusque et vital d’un organisme, qui permet de dépasser un stade critique, celle qui naît d’une pensée déliée et du langage qui l’articule. L’art se fait naturellement l’allié d’une telle acception. S’approprier les mots, dévoiler le sens caché des formules et des corps, nous place, spectatrices, spectateurs, au bord de situations proprement « renversantes ». Comme celle de Loïc (Richard dans les Etoiles), un jeune adulte qui choisit de rompre avec le cours des choses, ou celle d’un jeune circassien virtuose qui choisit d’incarner un anti-héros aux antipodes des personnages pleins d’eux-mêmes, qui réussiraient tout, des donneurs de leçons que la certitude pourrit (Préparation pour un Miracle). Choisir de ne plus être parlé. Savoir revenir à la simple source pour se défaire de déterminismes (La Mâtrue ; Euphrate). Produire de l’ordre avec du désordre (Blackout Dialogs), faire revenir les utopies de psychiatres indociles (La Brande), passer du corps féminin rabaissé à la résistance fière et cinglante (Black Lights), de la colère violente à la révolte apaisée et décidée (Violence Forest), … Tout simplement, retrouver la jubilation et l’envie d’être au monde (Joy, Enjoy Joy).

 

Sans toujours en avoir l’intention, quels que soient les sujets qu’elle touche, une proposition artistique est susceptible de perturber la normalité qui nous est rabâchée. Qu’elle plaise ou non, pour peu que l’œuvre soit travaillée, elle sera souvent de nature, par la pénétration de ses images, par sa force de divagation, à camper des positions avancées dans l’ordre symbolique, fût-ce au cœur de l’hégémonie. Sans but assigné. En la quittant, il suffira de penser, de parler et de boire, pour fixer les images. Ici, tout est prêt pour cela.

 

« Si vous voulez de la lumière », voici juste une lueur qui vibre au lointain, semble nous dire la jeune illustratrice Lisa Mouchet. On ne sait trop si elle apparaît ou va disparaître. Elle est la métaphore d’une promesse, posée depuis longtemps derrière un paysage saturé de rêveries. Une promesse qui ne se contenterait pas de transfigurer la forme, mais de la briser. La réinventer. Il faut bien laisser une chance à l’Histoire.

 


Marc Le Glatin